[Vient du Bureau de la directatrice]

L'escalier descendu et la gargouille franchie, Alban rattrapa Sylvia et marcha à sa hauteur sur quelques pas. Il lui faudrait rapidement ravaler sa fierté pour réitérer sa demande à l'insupportable Serdaigle, mais surtout jouer de persuasion pour qu'elle daigne se plier à ses exigences. La flatterie ne serait sans doute pas le bon moyen. Pas pure, en tout cas. Il trouverait bien. Au pire, il demanderait de l'aide à quelqu'un d'autre.

"Mais qui ? Clémentine ? Trop risqué... Exhumeï ? Elle m'édicterait ses lois..."

- Stender, attends. Euh... Tu as encore quelques minutes à m'accorder ?

Il posa sa question très humblement, presque comme s'il s'attendait à un refus automatique, sûr et certain que la jeune fille aurait bien mieux à faire que de l'écouter épiloguer. Une humilité feinte, mais néanmoins bien jouée. L'idée lui traversa un instant qu'il aurait du se lancer dans l'art dramatique... Si ce n'est que dès lors tout le monde se poserait la question de savoir s'il jouait où non, ce qui n'était pour l'instant pas le cas (donc un avantage).

- J'ai besoin de comprendre quelques petites choses. Parmi elles ta remarques ; "le parc"... Tu pensais au lac, me trompé-je ?

Question purement rhétorique. Ou pas. Mais qui avait donné une idée au Serpentard, et il comptait bien l'exploiter au plus tôt. Mais il se montrerait patient si Sylvia se faisait récalcitrante. De toute manière, il avait plusieurs pistes à exploiter. Tant que sa propre tranquillité ne serait pas assurée, il continuerait de les explorer une à une. Comme toujours, il n'avait pas l'âme d'un sauveur, et ses actions étaient purement intéressées. Paradoxalement c'était la meilleure garantie de ses intentions. Tant que les autres allaient dans le sens de son intérêt, ils n'avaient rien à craindre de lui.

Sylvia était rapidement sorti du bureau du professeur Wulfric. Elle commençait à ne plus supporter la présence d'Alban Cavendish dans la même salle qu'elle. Et ses remarques désobligeantes n'étaient pas non plus pour lui plaire. Mince alors, il pouvait au moins avoir du respect pour une fille d'un an son aînée ! Arrivée au deuxième étage, après être passée devant la gargouille, Sylvia pensait monter dans sa salle commune pour y chercher un peu de repos. Mais le Serpentard s'entêtait à marcher près d'elle. Et comme elle s'y attendait, il lui demanda encore un peu de son temps.

"Franchement, je n'en suis pas sûre", dit-elle sèchement.

Sylvia continua à marcher, la tête haute, quand il lui demanda une seconde chose. Cette fois, à propos du parc. Est-ce que cela le regardait vraiment ?

"En quoi cela peut-il bien t'intéresser, Cavendish ?" demanda-t-elle avec le même ton sec et cassant.

Elle s'arrêta, pour lui faire face.

"Ecoute, je crois que tu es trop.... bizarre pour moi", ajouta-t-elle sans raison apparente. "Il vaut mieux que nous ne cotôyons pas le même air trop longtemps. Je crois que ça a déjà fait bien assez de dégats comme ça."

Sylvia termina sa phrase sur un ton beaucoup plus doux. Elle ne s'en alla pas, se contentant de rester sur place, à regarder le Serpentard, attendant sans doute une parole de sa part.

Si Alban fut décontenancé par la sècheresse du ton de la jeune fille, il le cacha bien, acceptant sans mot dire les répliques qui lui étaient lancées. Certes ce n'était pas de gaité de coeur que Sylvia "perdait" du temps avec lui. La réciproque n'en était pas moins vraie, et le Serpentard était prêt à abdiquer, pour un moment au moins, sa fierté, si cela lui permettait d'arriver à ses fins. Au plus tôt il en aurait fini, au plus tôt ils seraient débarrassés l'un de l'autre. Et tout ceci serait très certainement pour le mieux, à son point de vue.

La Serdaigle s'immobilisa face à lui, et il sourit intérieurement. Il était parvenu à attirer son attention, encore un peu... Tout n'était donc pas perdu immédiatement.

- C'est pour éviter davantage de dégâts que nous devrions côtoyer le même air encore quelques temps, dit il doucement, l'ombre d'un sourire désolé sur ses lèvres. Qui s'effaça néanmoins très vite lorsqu'il reprit la parole : Je ne tiens pas plus que toi à ce que les choses se répètent ou dégénèrent. Tu as le droit de me trouver bizarre et de te méfier de moi. Il n'empêche que pour l'instant nous sommes dans le même bateau... Que je n'ai pas l'intention de laisser couler.

L'image du bateau, et du naufrage n'était pas totalement un choix innocent de la part d'Alban, mais elle se prêtait merveilleusement bien au problème actuel, et, dans sa bouche, elle paraissait être venue naturellement, dépourvue de tout sous-entendu.

- Tu as raison, pour le lac. Cela ne me regarde en aucun cas. Mais la Salle bien.

Il se tût un moment, vissant son regard à celui de son interlocutrice avant de poursuivre.

- Chaque... "cauchemar" se baladant dans les couloirs de cette école appartient à un ou plusieurs de ces occupants. Si le lac est le tien, tu dois être la mieux placée pour le faire disparaître. Si mes théories sont exactes, il disparaitra quand il sera affronté. Il ne restera plus alors qu'à convaincre les euuh "propriétaires" des autres cauchemars d'affronter les leurs.

Il haussa ensuite les épaules.

- Tu peux me prendre pour un fou... Je n'exigerai pas ton aide, pas plus qu'une réponse immédiate, c'est à toi d'en décider. Tu sauras toujours où me trouver...

Sylvia écouta ce que le jeune homme avait à lui dire sans l'interrompre une seule fois. Elle voulait que tout ça passe vite pour abréger leur entrevue le plus rapidement possible. Mais elle ne pouvait pas non plus le laisser en plan. Il y avait une part de vérité dans ce qu'il disait, ou du moins le croyait-elle. Avec ce que le professeur Wulfric avait dis, ce qu'était la salle et maintenant, la peur d'Alex... tout ça convergeait parfaitement vers les théories d'Alban.

"Je ne me méfie pas de toi..." répondit-elle d'un ton neutre. "Et c'est bien là le problème", ajouta-t-elle à voix basse, plus pour elle-même.

Tiraillée entre l'envie de tout envoyer balader, de retourner dans sa salle commune et de ne plus jamais revoir Cavendish, et celle de venir à bout de cette maudite salle, Sylvia hésita un moment, jetant des coups d'oeil vers le couloir, avant de reprendre :

"Je ne pense pas que tu es fou. À mon avis, tes théories ne sont pas sans fondements... mais comment veux-tu que j'affronte un lac ?" lâcha-t-elle dans un rire nerveux. "Alex a monté un club pour se défendre. Ensemble, ils auraient peut-être pu faire quelque chose s'ils avaient eu tes théories. J'aurais pu les aider, si seulement il m'avait demandé de l'aide plus tôt", ajouta-t-elle, de nouveau l'air absent.

Chaque fois que cette histoire lui revenait en mémoire, Sylvia ressentait un vif pincement au coeur qu'elle avait encore trop de mal à maîtriser. Elle garda cependant un regard et une voix neutre, ne tenant pas à laisser paraître son mal être.

Alban haussa vaguement les épaules. Que ce soit un lac ou autre chose, la manière d’affronter sa peur n’était pas vraiment le problème. Le plus dur était sans doute d’oser, de s’en sentir et surtout d’en être capable.

- Comme on affronte n’importe quelle peur… En lui faisant face.

« T’es bien placé pour parler, toi », le sermonna une petite voix qu’il n’avait pas vraiment envie d’écouter en cet instant.

Ni à n’importe quel autre moment d’ailleurs. Les petites voix avaient ceci de particulièrement agaçant et frustrant qu’elles se révélaient généralement pas si petites que ça. Le Serpentard n’avait pas l’intention de mener un combat mental avec lui-même, dans lequel il perdrait forcément à un moment ou un autre. De fait, elle avait raison ; Alban n’avait jamais été capable d’affronter directement ses peurs les plus profondes, il avait toujours biaisé, retourné les situations à son avantage, démantelé les évènements et jouer dans l’auto-persuasion. Mais il n’était jamais parvenu à bout d’un épouvantard. Sa plus grande peur étant la perte de contrôle, il perdait tous ses moyens face à cette créature. A son grand désarroi d’ailleurs. Seul, il se retrouvait paralysé, littéralement par sa propre peur. Une peur peut être apparentée à celle de la peur elle-même, mais différente. Et, jusqu’à ce jour, inexpugnable. Du moins n’avait il jamais réussi à prendre entièrement le pas sur elle. Bien malgré lui tout à ses réflexions, il baissa les yeux, indiquant par là même à la jeune fille de Serdaigle une position de faiblesse. Une position qui, si elle ne lui plaisait guère, il était bien forcé d’admettre et reconnaitre.

« Alex… Auhesse et son foutu club… Auhesse n’est plus là, il a pris la fuite », pensa t il en serrant les dents. Mais il ne dit rien. « Calme toi, reviens en à ton sujet !»

- Je pense que… (Il se mordit brièvement la lèvre inférieure, hésitant à poursuivre, puis se lança : ) Un entrainement sur épouvantard serait de mise.

Il releva ensuite brusquement les yeux, plongeant dans le regard de son interlocutrice. Il ne voulait pas la vexer, et donc tenait à bien se faire comprendre.

- Pas pour la maîtrise du riddikulus… Je suis certain que ce sort n’a pas le moindre secret pour toi. Je prône une autre approche. L’affrontement pur et simple… « soutenir son regard », si j’ose dire. Ne pas le craindre. Si nous n’avons plus peur de notre peur, l’épouvantard devra battre en retraite. Et je mettrais ma main au feu que la Salle réagirait pareillement.

Un instant de silence pour reprendre son souffle et permettre à Sylvia d’intégrer sa demande. Le choix également de la peser, de l’accepter ou la refuser.

- Les choses ne s’arrangeront pas d’elles mêmes si nous les fuyons, St- Sylvia.

En lui faisant face... Savait-il au moins ce que Sylvia avait vécu, face à ce lac ? Avait-il seulement la moindre idée de ce qu'il s'était passé, ce soir là ? Non, bien sûr que non. Il n'en savait rien, comme il ignorait tout de Sylvia. Comment voulait-il collaborer avec quelqu'un dont il ignorait tout ? Comment étaient-ils censés lutter ensemble, contre cette gigantesque entité, sans rien savoir de l'un et l'autre ? Il était tout simplement stupide. L'envie de lui dire la démangeait. Ensuite, elle serait parti, la tête haute, vers sa salle commune pour ne plus jamais avoir à le cotôyer. Mais elle n'en fit rien. Elle resta là, plantée devant lui.

Alban se lança dans une proposition : s'entrainer avec un épouvantard. Ces paroles firent tout de suite un effet bombe sur Sylvia. Pour qui la prenait-elle ? Elle était tout à fait capable de combattre un épouvantard à coup de riddikulus. Il ne manquait vraiment pas de toupet ! Elle avait aussitôt ouvert la bouche pour lui le faire remarquer, mais celui-ci ne lui laissa pas le temps de parler, rectifiant sa proposition. Il parlait d'un affrontement avec leur peur par le biais de l'épouvantard. Sylvia ferma la bouche sans ajouter un mot. Ce n'était pas une mauvaise idée. Mais la perspective de devoir passer encore plus de temps avec le Serpentard ne lui plaisait guère. Et puis c'était loin d'être simple. Trouver un épouvantard et s'entrainer dessus, au nez et à la baguette des enseignants de Poudlard était une chose risquée. Et quand bien même la recherche de l'épouvantard ne serait pas des plus longues (Sylvia avait déjà sa petite idée sur la question), il leur faudrait trouver une salle libre à l'abri de Rusard et Miss Teigne.

Sylvia en était là dans ses réflexions, quand une image soudaine d'Alban, baissant sa garde pour la première fois en regardant le sol, lui revint en mémoire. Elle n'y avait pas prêté attention avant, mais l'écho de son prénom résonnant à ses oreilles avaient fait ressurgir en elle cette image. Sylvia, étonnée au plus haut point, tenta en vain de cacher sa surprise.

- Euh... oui donc... je ne sais pas. Où veux-tu trouver une salle pour s'entrainer ? demanda-t-elle.

Trouver une Salle, ça ne serait pas vraiment le problème. Au moins Sylvia ne l'avait pas renvoyé à son ego en lui riant au nez d'un air dédaigneux. En soi, c'était déjà une victoire que le Serpentard savourait à sa juste valeur. Sans pour autant s'en gorger de fierté, parce qu'un élan d'arrogance ferait sans doute tout capoter. La Serdaigle lui mettait les nerfs en vrille, mais il n'avait pas beaucoup le choix, il faudrait faire avec elle ou faire une croix dessus définitivement. Et ça, il en était hors de question ; il s’était déjà bien trop impliquer pour abandonner maintenant. Qu’elle l’apprécie ou non, Stender devrait admettre qu’ils devaient coopérer. Ou alors lui aussi prendrait son courage à deux mains et quitterait le navire, comme un rat. Un rat lâche, mais vivant. Bref, il n’en était pas là, il gardait simplement cette idée dans un coin de son esprit au cas où…

- A vrai dire, je pense que la manière la plus simple d’obtenir cette Salle, c’est de la demander. L’Epouvantard est bien au programme des cours… Y a pas de mal à faire quelques heures d’entrainement supplémentaire pour nos examens. Tu serais pour le professeur Wulfric l’assurance que les choses ne tournent pas mal, puisque tu le maîtrises. Je doute qu’elle nous l’interdise formellement.

« Et je doute plus encore qu’une chose aussi banale qu’une interdiction vienne me contrecarrer. Ce serait bien grotesque… Comme si j’allais m’embarrasser des formalités. »

Un temps, un sourire.

- L’autre possibilité c’est de se réserver une salle d’office… Une salle où peu de personnes ont accès. Et choisir ses horaires, bien sûr. Je te laisse le choix de la voie disons ‘officielle’ ou officieuse. Pour moi, ça ne change pas grand-chose.

Voilà, à présent, elle connaissait le fond de sa pensée. Ou presque. Elle avait en main les cartes nécessaires pour le dénoncer dans son entorse au règlement, et lui possédait les moyens de dévoiler son « coup de folie ». Chacun ayant une prise sur l’autre, le garçon se sentait rassuré… Ainsi ce serait ensemble dans l’illégalité et le silence… Ou ils tomberaient ensemble.

Demander une salle ? Oui, ça pouvait se faire. Mais pas n'importe comment. Après leur passage dans le bureau de la directatrice, Sylvia était sûre que le professeur Wulfric les aurait à l'oeil d'une quelconque façon. C'était donc à elle qui fallait en faire la demande.

"Pour la salle, je pense pouvoir en faire mon affaire", dit-elle avec fierté.

Sylvia avait tout d'abord songé à l'excuse du club. Un club, ça demandait forcément une salle pour y réunir les membres. Et le professeur Wulfric les encourageait dans cette fois, sans doute pour renforcer les liens entre les élèves et les maisons. Mais un club de deux personnes qui ne recrutait aucun membre, c'était louche.

"Le professeur Wulfric sait que tu n'es pas un Troll en défense contre les forces du mal. Et même si tu n'as pas assisté au cours sur l'épouvantard, elle ne me donnera jamais le droit de te faire ce cours. Elle a parlé ouvertement de la salle du Risèd avec nous. Elle se rendrait rapidement compte de ce que nous avons derrière la tête. Alors, je dirais que c'est pour te faire des cours de soutien. En Histoire de la Magie ou peu importe. Choisi juste les matières où tu es le plus mauvais."

Sylvia était sûre que ça réussirait. Une élève brillante comme elle était forcément crédible quand elle voulait donner des cours de soutien à d'autres.

"Pour l'épouvantard... y a la cabane hurlante", ajouta-t-elle en plongeant son regard dans celui du Serpentard, un sourire hautain sur le visage.

Alban hocha silencieusement la tête. La fierté et l'autosuffisance dans le ton de la Serdaigle servaient en eux même d'assurance quant à sa collaboration. S'il avait touché une corde sensible, il avait gagné. Sylvia serait son aide la plus précieuse, à condition que les choses se déroulaient comme il le pensait. Dans le cas contraire cela s'avèrerait plus compliqué. Un échec pouvait être dangereux.

"Plus dangereux que ce qui se trame pour l'instant dans Poudlard ?"

- Très bien. Et bien disons...

Il réfléchit rapidement. En quoi était il mauvais ? Alban n'avait pas réellement de grosses difficultés, en cours. Il faisait partie de ce genre de personne qui réussissent plus ou moins brillament sans se donner la peine d'en faire des masses. Sans s'en vanter, bien sûr. De fait, à ne rien faire, il était plutôt moyen. A travailler avec plus d'assiduité, il serait sans doute un très bon élève. Mais il fallait bien choisir un cours...

- ... Voyons, un cours nécessitant une salle... Métamorphose ?

Un cours pour lequel Alban ne se donnait pas la peine d'en faire plus que nécessaire. Il fallait dire que ses différents avec les méthodes anti-pédagogiques de McGonagall le poussaient à une petite rébellion personnelle ; celle d'en fiche le moins possible. Les résultats n'étaient pas non plus catastrophiques, mais suffisement bas pour justifier un regain de travail.

- Et va pour récupérer l'élément E à la Cabane.

Il se tut un moment. L'affaire semblait conclue, pour l'instant.

- On ferait mieux de laisser couler un peu d'eau sous les ponts. Elle se douterait de ce qu'on manigance. Je n'aime guère me sentir surveillé. Et je crois me rappeler que tu n'avais pas non plus trop de temps à m'accorder.